Rwanda - Mille collines, mille douleurs by Braeckman Colette

Auteur:Braeckman, Colette [Braeckman, Colette]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, Belgique, Histoire, Génocide
Éditeur: Blondie - La Gang
Publié: 2014-07-31T22:00:00+00:00

Gérer l’ingérable

Pour tenter de gérer l’ingérable, les nouveaux maîtres du Rwanda, repartant de zéro, ne se sont pas inspirés des exemples d’autres pays dits « post conflit » ou « États fragiles », selon la terminologie d’aujourd’hui. Ils se sont au contraire affairés à recréer au plus vite un État fort, digne de l’histoire du Rwanda ancien, avec pour objectif avoué de réduire au plus tôt la dépendance envers l’aide extérieure. Considérant que les divisions ethniques ont failli mener la nation à sa perte, ils s’emploient à les nier, à interdire qu’on en parle. La mention du groupe ethnique, qui avait permis l’élimination des Tutsis, a été effacée des cartes d’identité. La nouvelle Constitution, proclamée en 2000, proscrit explicitement le « divisionnisme ». Une version de l’histoire triomphe ostensiblement sur l’autre.

Sur le plan législatif, les femmes, qui représentent aujourd’hui plus de 60 % des parlementaires et bénéficient d’un quota de 24 « places réservées », ont vu l’égalité leur être garantie au sein du couple ou en matière d’héritage.

Paul Kagame et les siens mesurèrent aussi à quel point le cas du Rwanda était unique, sans comparaison avec d’autres tragédies. Où donc bourreaux et victimes ont-ils été obligés à vivre côte à côte dès le lendemain des tueries ? Où donc les réfugiés hutus rentrés de leur exil tanzanien ou congolais ont-ils dû partager leur maison avec des rescapés tutsis ou avec des nouveaux venus arrivés d’Ouganda qui en avaient pris possession ? Où la justice a-t-elle dû faire face, sans juges formés, sans force de police, à une telle masse de criminels, tellement nombreux que, selon les critères traditionnels, il aurait fallu de 200 à 300 ans pour juger tout le monde ?

« Chaque week-end, durant des années, nous avons organisé des retraites qui se tenaient souvent dans l’enceinte du village présidentiel » raconte Denis Polisi, qui fut longtemps vice-président de l’Assemblée nationale. « Nous y invitions les cadres du FPR, mais d’autres venaient aussi, des religieux, des intellectuels, des scientifiques. Nous examinions un à un tous les problèmes qui se posaient, et ils étaient innombrables. Nous revisitions l’histoire de notre pays, pour y rechercher des idées applicables, qui nous convenaient. Nous tentions aussi de nous inspirer d’autres expériences. »

Afin d’examiner tous les défis, une première conférence sur le génocide fut organisée en 1995 à Kigali. Je n’oublierai jamais l’apostrophe qu’Ephraïm Züroff, collaborateur de Simon Wiesenthal, le chasseur de nazis et directeur du centre Ad Vashem à Tel Aviv, lança à l’auditoire stupéfait. « J’ai deux nouvelles à vous communiquer, une bonne et une mauvaise. La mauvaise, c’est que la souffrance du génocide, vous allez la transmettre à vos enfants. Elle ne va pas disparaître de si tôt. Elle vous accompagnera de génération en génération. Et la bonne nouvelle, c’est que vous pourrez compter sur notre solidarité. Nous serons à vos côtés. »

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